Une arrivée des plus fracassantes... [PV Nina]

Le regard plongé dans l’immensité, Nina sentit ses doutes s’apaiser. Tout semblait plus clair à présent. Des deux choix qui s’offraient à eux, elle ne savait pas bien vers lequel allait sa préférence. Une part d’elle-même optait pour la raison et lui suggérait de rassembler ses affaires pour s’éloigner tant qu’il était encore temps, gardant simplement en mémoire le souvenir chaleureux de cette rencontre. Oui, c’était sans doute ce qu’il y avait de mieux à faire. Avec la vie qu’ils menaient, ni l’un ni l’autre ne pouvait se permettre la moindre implication émotionnelle au risque de laisser à leur adversaire la possibilité d’exploiter un magnifique point faible. C’était la seule décision raisonnable à prendre. Ce n’était pas si compliqué finalement. L’argument, qui lui permettait de se voiler la face, était si séduisant que son esprit s’y accrocha fermement, refusant tout net d’explorer la seconde option. Sereine à présent et convaincue d’avoir fait le meilleur choix, elle attendit que Colton vienne confirmer son raisonnement, lui signifiant sans aucun doute que leurs chemins se sépareraient dès le lendemain. Ce qu’il ne tarda pas à faire d’ailleurs.

- Je sais que tant qu'aucun de nous ne prendra de décision, nous ne pourrons continuer notre chemin ensemble. Alors je crois que nous n'avons qu'une seule chose à faire...

Nina se contenta d’hocher la tête, devinant la suite avant qu’il ne la dise. Dès demain à la première heure, ils partiraient chacun de leur côté et poursuivraient leur chemin sans plus se préoccuper l’un de l’autre. Elle était si certaine de l’entendre prononcer ces paroles qu’elle fut d’autant plus surprise de ce qu’il fit. Le baiser qu’il lui donna fut bien plus bouleversant que le simple effleurement de leurs lèvres un peu plus tôt. Retournant immédiatement sous le tipi ensuite, il la laissa un instant interdite par ce qui venait de se passer. Elle était si sure d’elle et elle s’était trompée.

Contrainte et forcée de regarder la réalité en face, elle laissait enfin son esprit examiner la deuxième solution. Car finalement, elle le savait à présent, c’était bien vers cette seconde option que son cœur balançait. Elle devait le reconnaitre, elle avait été troublée par ce contact et si elle voulait bien se souvenir, elle avait même regretté qu’il ne se soit pas prolongé. Était-ce la peur du lendemain qui l’avait conduite à occulter cette possibilité ? Encore réticente à admettre complètement la vérité elle se raisonna. Après tout, ils avaient tous deux l’habitude des relations sans lendemain. C’était comme ça qu’ils fonctionnaient l’un et l’autre. Une nuit n’engageait à rien. Pourquoi se priver des plaisirs que la vie pouvait offrir ? C’était Colton qui avait raison finalement. Ils en avaient envie tous les deux, à quoi bon le nier ?

Quand elle le rejoignit à nouveau sous le tipi, forte de cette nouvelle certitude, le pistolero la défia. Il avait su prendre une décision, assumer son choix et ses conséquences. Pouvait-elle en dire autant ? La jeune femme se garda bien d’en faire la remarque mais à cet instant elle ressentit une pointe d’admiration pour son acolyte. Il était facile de faire preuve de courage lorsqu’il s’agissait de sauver sa peau. Les choses devenaient plus compliquées lorsque les sentiments entraient en ligne de compte. Il s’était montré meilleur qu’elle à ce jeu-là. Souriante à son tour, elle répondit sur le même ton :

- Je crois que oui.

Pour ponctuer ses propos, elle s’approcha et tout en s’agenouillant sur le sol pour se trouver à la même hauteur, elle ôta sa chemise, la passant par la tête sans se donner la peine d’en défaire les boutons. Se penchant en avant, ses lèvres allèrent à la rencontre de celles de Colton.

Nina fut la première à ouvrir les yeux. Elle mit quelques minutes à se souvenir de l’endroit où elle se trouvait et surtout de ce qui s’était passé. Une sensation de bien-être qu’elle avait rarement éprouvée envahissait tout son corps. Peu à cheval sur les convenances, elle avait déjà connu bien des hommes par le passé. Mais elle pressentait que le souvenir de cette nuit resterait bien plus longtemps gravé dans sa mémoire que les autres. Un sourire éclaira le visage de la jeune femme lorsqu’elle s’aperçut que leurs doigts étaient toujours entrelacés. La couche était étroite et il n’était pas si surprenant qu’ils soient restés dans les bras l’un de l’autre durant leur sommeil. Que leurs mains en revanche soient restées unies, était déjà plus inattendu.

La mexicaine resta ainsi de longues minutes sans oser bouger, de peur de réveiller son amant d’une nuit. Soudain, un doute la saisit. Est-ce qu’il ne s’agissait bien que d’une nuit comme elle l’avait envisagé en prenant sa décision ? Ils avaient mis une telle force et une telle émotion dans leur étreinte qu’il était permis d’en douter. Nina s’empressa de chasser cette pensée de son esprit. Il était inutile de se poser de telles questions pour le moment. À regret, elle s’arracha à la douceur des bras de Colton pour s’extraire du lit en silence. Tout aussi silencieusement, elle récupéra ses vêtements et ses armes. Une fois prête elle se dirigea vers la sortie et avant de franchir le seuil du tipi jeta un dernier regard derrière elle. Colton bougea légèrement et il lui sembla que sa main cherchait quelque chose dans le vide laissé par la jeune femme.

Une fois à l’extérieur, il fallut quelques secondes à Nina pour s’habituer à la lumière. Quand ses yeux se furent accoutumés, elle traversa le village pour se rendre chez le sachem. Il était temps de reparler de la question des vivres et surtout d’annoncer tout de suite qu’elle ne comptait pas rester quelques temps. Sur son passage, elle surprit les regards de certains guerriers, assortis de commentaires prononcés trop bas pour qu’elle puisse les entendre. De toute évidence, leurs activités nocturnes étaient moins passées inaperçues que ce qu’elle avait imaginé. Quelle importance. Après tout, elle avait prétendu qu’ils étaient mariés, ça ne faisait que donner du crédit à son mensonge.

Juste avant d’entrer dans le tipi des amis de son père, la jeune femme aperçut le dénommé Anoki un peu plus loin. Elle lui fit signe qu’elle se rendait chez le sachem, de façon à ce qu’il transmette le message à Colton si jamais ce dernier la cherchait. Puis, baissant la tête pour passer à l’intérieur, elle s’apprêta à entamer les négociations. Avoir des vivres ne poserait pas de problème. Qu’ils la laissent partir risquait d’être plus compliqué. En la voyant, Delsin l’invita à entrer.

- Entre Nina, viens manger quelque chose.

À peine fut-elle assise qu’il enchaina comme elle l’avait craint :

- Combien de temps allez-vous rester ?

Nina ne put s’empêcher de sourire. Il semblait loin le temps où s’adressant à Colton, le chef consentait tout juste à les accueillir pour la nuit…

- En fait, je venais te demander si tu pouvais nous vendre quelques vivres. Une longue route nous attend et nous partirons en milieu de journée.

C’est là que les négociations commencèrent…

Il fallut à Nina une longue heure de négociations pour faire comprendre au sachem et à son épouse qu’elle aurait été sincèrement ravie de rester plus longtemps parmi eux mais que malheureusement elle devait poursuivre sa route. Elle dut également promettre de revenir dès que possible pour une durée plus longue cette fois. Mais comme elle s’y attendait, elle obtint en revanche quantité de vivres pour leur permettre de tenir elle et Colton durant tout le temps de leur exil à Tombstone. Elle dut même encore une fois insister pour les payer en échange.

Le point positif de ce temps passé à marchander avec acharnement, c’était que ça lui avait permis de ne plus penser aux interrogations angoissantes qui l’avaient saisie un peu plus tôt. Quel soulagement de ne se préoccuper que de choses matérielles et concrètes qu’elle pouvait maitriser. C’était ainsi qu’elle fonctionnait. Elle avait l’habitude de tout contrôler et l’imprévu n’avait d’excitant que le défi qui en résultait. Sauf que cette fois, il n’y avait aucun défi, seulement l’inconnu et son lot de questions sans réponses. Il y avait de quoi ébranler toutes ses certitudes et remettre en question sa manière de fonctionner.

Lorsqu’ils virent enfin le bout des négociations, la jeune femme prit congé et c’est l’esprit pour un temps libre qu’elle quitta le tipi du chef. Encore une fois, elle surprit les regards moqueurs lancés discrètement dans sa direction. Soupirant, elle décida de ne pas s’en préoccuper. D’ici une heure ils seraient partis, et si les commentaires alimenteraient les conversations quelques jours, ils s’essouffleraient bien vite d’eux-mêmes. Ce qu’elle ne put ignorer en revanche, c’était l’arrivée de Colton, visiblement entrainé par Anoki. Les deux hommes venaient droit dans sa direction et avant qu’elle ait le temps de se demander ce qui se passait, ils étaient à sa hauteur. Sans lui demander son avis, le guerrier indien la saisit également par le bras et l’entraina avec le pistolero à l’intérieur du tipi qu’elle venait de quitter. Il était trop tard pour protester et lançant un regard interrogatif à son acolyte, elle put constater qu’il semblait aussi ignorant qu’elle sur les intentions de son ami.

Une fois à l’intérieur, Nina eut bien vite l’explication qu’elle attendait… et dont elle se serait bien passée. À mesure qu’Anoki parlait, exposant son plan au sachem, l’expression de Nina se décomposait. Elle n’avait pas prévu, mais alors vraiment pas du tout prévu ça ! Lorsque le guerrier sortit du tipi et qu’elle croisa son regard, celui de la mexicaine lançait des éclairs. C’est alors que Colton se tourna vers elle, soudainement angoissé. Si elle n’avait pas été elle-même lourdement impliquée dans ce qui se tramait, elle aurait trouvé son expression comique tant elle contrastait avec son image.

- Je n'ai jamais été très doué pour apprendre les langues, mais je connais quelques mots en apache. Est-ce que je me suis lourdement trompé, ou est-ce qu'Anoki a effectivement utilisé le terme "mariage" dans son discours ?

La jeune femme se contenta d’hocher légèrement la tête, confirmant l’inquiétude du pistolero.

- Oh non... Ne me dis pas qu'il a fait ça... S'il te plait...
- Je crains que si…

Ils n’eurent pas le temps d’en discuter davantage car déjà Anoki revenait tout sourire, accompagné de l’homme-médecine. Le sage les fit s’agenouiller l’un en face de l’autre et commença la cérémonie. Nina réfléchissait à toute vitesse. Comment allait-elle se tirer de ce guêpier ? D’autant que si elle n’avait jamais adhérée à aucune des religions de son peuple, elle avait tendance a respecter bien davantage les coutumes indiennes. C’était essentiellement dû au fait qu’il n’y avait qu’avec ceux avec lesquels son père s’était lié d’amitié qu’elle avait pu connaître un semblant de vie de famille. Mais cet état de fait soulevait un problème épineux. Elle se voyait très mal passer outre cet évènement une fois qu’ils auraient quitté le village. Et cette idée ne lui plaisait pas du tout. Tandis que le faible « oui » prononcé par Colton la ramenait à l’urgence de la réalité, une idée lui vint.

Lorsque l’homme-médecine se tourna vers elle pour lui poser des questions semblables à celles auxquelles Wales avait eu droit, elle lui répondit en apache par un monologue un peu trop long par rapport à la réponse attendue. Fronçant les sourcils d’un air inspiré, le sage réfléchit aux propos de la mexicaine qui se prit un instant à espérer que sa pirouette avait fonctionné. Durant ce laps de temps, Anoki se chargea de faire la traduction de ce qu’elle avait dit pour Colton.

- Elle lui a demandé s’il ne convenait pas d’obtenir l’autorisation de son père avant de la marier et donc pour ça de se rendre sur sa tombe auparavant.

Avec un sourire goguenard, l’indien ne put s’empêcher d’ajouter :

- Mais c’est qu’elle est futée ta « femme ».

L’échange s’arrêta là puisque l’homme-médecine avait trouvé la solution au problème. L’expression de Nina suffisait pour comprendre que si la tentative était belle, elle n’avait pas porté ses fruits. En effet, le sage avait estimé qu’il n’était pas nécessaire de se rendre sur la tombe d’El Jinete pour obtenir son approbation mais qu’interroger les esprits leur fournirait la réponse. Nina soupira, ils avaient gagné dix minutes et elle n’avait pas d’autre idée. Résignée, elle laissa le sorcier poursuivre et à son tour prononça un « oui » moyennement convaincu.

Comme si ce n’était pas suffisant et sans doute pour les achever un peu plus, l’homme-médecine invita le sachem à s’approcher. Ce dernier, souriant avec une bienveillance sincère tant il était fier de marier la fille de son vieil ami, s’avança avec une lanière de cuir dans les mains. Une coutume propre à leur village voulait que les nouveaux mariés gardent leurs mains liées pendant trois jours afin de matérialiser leur nouvelle union. En elle-même, Nina se jura de faire payer cette traitrise à Anoki dès qu’elle en aurait l’occasion.

Voilà qu’elle était mariée ! Lorsqu’ils sortirent du tipi du sachem pour traverser le village… main dans la main par la force des choses… Nina était effondrée. Jamais dans ses rares projets d’avenirs, elle n’avait envisagé cette éventualité. Certes à son âge, la plupart des femmes étaient déjà depuis longtemps passées devant l’autel et celles qui ne l’étaient pas craignaient de devenir vieille-filles. Mais la mexicaine n’était pas comme les autres femmes, le mariage n’avait jamais fait partie de ses rêves et elle avait toujours envisagé sa vie d’abord avec son père puis seule. Bien sûr, elle n’avait pas hésité à partager les nuits des cow-boys qu’elle avait croisés mais son seul but alors était de profiter des plaisirs de la chair. Et voilà qu’elle se retrouvait mariée ! Et de surcroit à un homme qu’elle connaissait depuis moins de vingt-quatre heures ! Selon les lois indiennes par-dessus le marché, des lois que la jeune femme respectait davantage que les lois de son pays. Cette fois, elle voyait mal comment se tirer de ce mauvais pas.

Ce n’est que lorsque Colton lui proposa ironiquement une balade en forêt que Nina retrouva son énergie. Suivant le regard du pistolero, elle avait elle aussi repéré Anoki qui semblait les narguer à l’orée de la Grande Forêt. L’heure de la vengeance avait sonné. Les deux amants marchèrent tranquillement dans sa direction jusqu’à être hors de vue puis se lancèrent dans une course effrénée. L’entrave qui maintenait la main gauche de la jeune femme à la main droite de son compagnon les gênait et les ralentissait considérablement. Ils courraient à perdre haleine sans parvenir à rattraper l’indien. Quand soudain, Nina sentit Colton la saisir par la taille en lui criant de s’arrêter.

Les deux jeunes gens s’écrasèrent lourdement sur le sol, dans les bras l’un de l’autre. Une fraction de seconde, son visage à quelques centimètres de celui du pistolero, la mexicaine fut tentée de l’embrasser. Mais elle se ravisa immédiatement et roula sur le côté pour qu’ils puissent se relever. Pour rien au monde elle ne voulait donner raison à Anoki. En se remettant debout, ils purent admirer la cascade au pied de laquelle ils avaient manqué de s’écraser. Soudain inquiet, Colton lui signifia qu’ils devaient s’en aller le plus vite possible. À peine avait-il fini de parler qu’on les délesta de leurs armes.

Nina sentit l’angoisse monter. Elle avait rarement eu peur dans sa vie mais le tour que prenait la situation était plus qu’inquiétant. Sans le poids rassurant de ses colts sur les hanches, elle n’était plus très sure de ses capacités à s’en tirer. C’était une partie d’elle-même dont on venait de la priver. De l’échange qui suivit, la jeune femme ne comprit rien. Son regard interrogatif passait invariable d’Anoki à Colton sans parvenir à déchiffrer le sens de leurs paroles. Désarmés et impuissants devant les lames dont l’indien les menaçait, les deux amants n’avaient d’autre choix que de se laisser faire et bientôt, ils furent précipité dans le vide.

La chute parut interminable et le choc avec l’eau glacée à l’arrivée priva un instant Nina de ses sens. Cependant elle fut rapide à retrouver ses esprits et lorsque sa tête émergea à la surface, elle prit une profonde inspiration. Peu importait le pourquoi du comment à présent, il y avait urgence. Car il y avait bien une phrase de Colton dont elle avait parfaitement compris la signification : il ne savait pas nager. La jeune femme vit alors un unique avantage au lien dont ils ne pouvaient se défaire, leur chute vertigineuse ne les avait pas séparés et le pistolero était toujours à ses côtés. L’inconvénient c’était que s’il continuait à se débattre ainsi, il allait les noyer tous les deux. Ça aurait été une bonne alternative pour échapper à leur mariage forcé mais Nina n’était pas encore assez désespérée pour s’en remettre à cette solution. Si elle n’agissait pas rapidement, elle n’aurait plus la force de lutter à la fois contre le courant et contre Colton qui l’attirait vers le fond. Lorsqu’ils émergèrent une nouvelle fois de l’eau, Nina se servit de sa main libre pour administrer à Wales un magistral coup de poing qui suffit à l’assommer pour un temps.

- Désolée, ponctua-t-elle pour elle-même.

Si le pistolero constituait à présent un poids mort, la situation était déjà moins délicate. L’action de l’eau diminuait la charge que la jeune femme devait trainer et tant bien que mal, elle parvint à les ramener sain et sauf jusqu’à la plage d’une petite crique un peu plus loin. Épuisée par l’effort qu’elle venait de fournir, elle resta allongée sur le sable tandis que le pistolero à ses côtés reprenait ses esprits. Il allait sans doute la maudire pour sa mâchoire douloureuse mais peu importe, à cet instant c’était le dernier de ses soucis. Nina attendit qu’il fût tout à fait revenu à lui pour demander :

- Je peux savoir ce que tout ça signifie ?

Lorsque Colton commença ses explications, la jeune femme se redressa, s’asseyant en tailleurs dans le sable. Effectivement Nina avait entendu parler de ce lieu sacré qu’était le « Lieu des Braves ». Chaque tribu avait le sien, choisi et ensorcelé avec soin par les hommes-médecine afin d’y mettre à l’épreuve les futurs guerriers. Elle se souvenait qu’à l’époque où elle avait vécu parmi eux, son père lui avait expliqué que ce village était l’un des plus sévères sur ce plan. Échapper à la noyade risquait d’être une bagatelle à côté de ce qui les attendait. La mexicaine se serait bien passée d’un tel programme et c’est d’une humeur massacrante qu’elle écouta l’exposé de son « époux ».

- Cette "Vallée de la Mort" est en fer à cheval. Il nous est impossible de revenir par là ou nous sommes venus, la falaise est trop haute, et le moindre faux mouvement nous tuerait. Sans compter que nous ne sommes pas vraiment avantagés à ce niveau...

Dans une vaine tentative pour détendre l’atmosphère, le jeune homme fit s’agiter leurs deux mains liées. Il eut pour toute réponse un regard noir de la jeune femme qui se retenait avec difficulté de ne pas l’assommer à nouveau. À cet instant, elle regrettait amèrement sa décision de le suivre lorsqu’ils avaient quitté Dodge City… Colton poursuivit :

- Le seul moyen de s'en sortir, c'est de suivre cette vallée, en nous servant des falaises qui nous entourent comme guide, il devrait être impossible de se perdre. Cela dit, sans nos armes, nous avons peu de chances face à des adversaires dont nous ne savons probablement rien. Au bout du chemin, nous finirons par retomber sur la forêt, prêt du village, ou nous pourrons revenir sains et saufs. Le seul ennui, c'est qu’il nous faudra bien trois jours, dans le meilleur des cas, pour parcourir tout ce chemin...

Dans d’autres circonstances, l’expression de Nina aurait pu être comique. Elle affichait un mélange d’incrédulité, de résignation et d’abattement. C’en était trop pour être réel, elle était en train de rêver et allait bientôt se réveiller. Avec une ironie palpable, elle résuma la situation.

- Si je comprends bien, on a le choix en mourir… ou mourir !

Basculant en arrière, elle se laissa retomber allongée sur le sable, dépitée.

- Super ! Fais-moi penser d’étrangler ton ami si on s’en sort.

Secouant la tête de gauche à droite sans se soucier du sable qui s’infiltrait dans ses cheveux mouillés, elle ajouta :

- Et dire que je dois être la première femme à mettre les pieds ici… Quelle fierté !

Le ton qu’elle employait indiquait clairement que ce n’était pas le moment de tenter de plaisanter. Elle n’était vraiment pas d’humeur. D’abord elle se retrouvait mariée contre son gré et à présent elle se retrouvait piégée sans arme dans un lieu des plus hostiles. Mais qu’avait-elle bien pu faire pour que le sort s’acharne ainsi sur elle ?

Nina eut à peine le temps de reprendre quelques forces que déjà Colton la relevait précipitamment pour l’entrainer dans une nouvelle course folle. Un coup d’œil en arrière lui indiqua ce qui avait provoqué cette brusque mise en mouvement. La menace du puma à leurs trousses était suffisante pour empêcher la jeune femme de protester et pour la pousser à solliciter encore ses muscles endoloris après la nage forcée. Chaque enjambée lui semblait douloureuse et elle doutait de pouvoir faire la suivante sans s’écrouler au sol. Elle ne savait pas très bien comment elle parvenait à suivre le rythme que lui imposait le mercenaire. Sans doute ce qu’on appelait l’instinct de survie. Ce même instinct de survie qui la poussa à lever la tête, regardant les branches des arbres avec convoitise. Heureusement pour eux, Colton avait encore un peu plus d’énergie qu’elle en réserve et eut la présence d’esprit de voir le danger que représentait cette idée.

Malheureusement, les deux amants ne pouvaient rivaliser de vitesse avec l’animal et la distance qui les séparait s’amenuisait à chaque seconde. Brusquement, Nina se sentit projetée au sol. Ils avaient été juste assez rapides pour éviter le premier assaut du félin. Cependant ils étaient loin d’être tirés d’affaire et ils eurent à peine le temps de se relever que déjà l’animal renouvelait son attaque.

- S'il te plaît, Nina... Dis-moi que t'as une idée de génie...

La jeune femme réfléchissait à toute vitesse. L’adrénaline lui redonnait un semblant de vivacité et son cerveau tournait à plein régime. C’est quand elle sentit la main du pistolero serrer la sienne qu’une idée lui vint. Elle ne savait pas si elle était de génie, mais elle n’en avait pas d’autre.

- Ça se pourrait…

Tout en répondant, elle avait projeté leurs mains liées en avant, faisant ainsi en sorte qu’elles soient les premières à subir l’assaut du fauve. C’était sans doute peine perdue mais au point où ils en étaient, ils pouvaient bien tout tenter. En fait, Nina misait sur la magie de l’homme-médecine pour les sortir d’affaire. On leur avait expliqué que durant trois jours entiers rien ni personne ne pourrait détruire ce lien ensorcelé. Avec un peu de chance ça devait bien inclure un puma furieux ? Ne croyant qu’à moitié à sa propre idée, la jeune femme ferma les yeux en prévision du choc qui ne se fit pas attendre. Tandis qu’une douleur fulgurante traversait la main gauche de la mexicaine, elle se sentit projetée en arrière. L’atterrissage fut loin de se faire en douceur et elle fut sonnée un instant. Quand elle rouvrit les yeux, Nina considéra leurs mains liées. Les griffes du puma ne les avaient pas épargnés, ils avaient tous deux la main lacérée. Remuant les doigts, la jeune femme fut soulagée de constater qu’elle pouvait toujours s’en servir. La cordelette elle était intacte, comme elle l’avait espéré. Levant les yeux, elle chercha l’animal du regard. Il avait visiblement été projeté contre un arbre et gisait inconscient un peu plus loin. Inoffensif, mais pour combien de temps ? Les deux jeunes gens n’avaient pas intérêt à s’éterniser pour le savoir. Lançant un regard à son compagnon, Nina commenta en désignant leurs mains blessées :

- Pratique finalement !

Lorsqu’ils eurent tous deux repris leurs esprits et qu’ils se furent un peu éloignés, Colton s’empressa de bander sommairement leurs mains blessées. L’odeur du sang risquait de les trahir et lorsque le félin serait de nouveau d’attaque, il ne manquerait pas de retrouver très vite leurs traces. Il n’y avait pas de temps à perdre. Ils coururent encore un moment mais leurs enjambées s’étaient raccourcies de manière significative. Ils étaient à bout de force. Déjà derrière eux, les grognements du puma se faisaient entendre. Puisqu’ils ne pouvaient pas espérer le distancer, il leur fallait une nouvelle idée et vite. C’est le mercenaire cette fois qui trouva la solution. Sortant une boîte d’allumettes de sa poche, qui par miracle avait été épargnée par l’eau, il enflamma une branche morte. Se plaçant devant Nina, il se servit de ce bouclier improvisé pour éloigner et faire fuir l’animal. Ce qu’il n’avait pas prévu en revanche, c’était de mettre le feu à la forêt par la même occasion.

La mexicaine grimaça lorsque le pistolero saisit sa main blessée, l’entrainant dans une nouvelle course effrénée. Les flammes progressaient rapidement et l’atmosphère devenait étouffante. Si Nina avait été seule, elle aurait sans doute lâché prise, renonçant à se battre davantage tant elle était épuisée. Mais voilà elle n’était pas seule et sans qu’elle puisse bien se l’expliquer, elle puisa une énergie nouvelle dans les regards que Colton lançait en arrière pour s’assurer qu’elle suivait bien. Comme si elle avait pu faire autrement alors qu’ils étaient attachés ensemble… Opposant soudain une résistance, elle poussa son acolyte à changer de direction, obliquant sur la gauche.

- Par ici.

Elle n’avait pas le temps de fournir plus d’explications et les rôles s’inversèrent. C’était elle qui guidait leur course à présent. Par-dessus le grondement des flammes, elle avait perçu un autre grondement. Celui de la rivière qui suivait son cours un peu plus loin. C’était là qu’elle se dirigeait. Parvenue sur la rive, elle entra dans l’eau sans se poser de questions et s’arrêta aussitôt, retenue par son bras gauche. De l’eau jusqu’aux genoux, elle se retourna pour voir Colton qui s’était immobilisé sur la berge fixant le fort courant avec angoisse. La jeune femme soupira. Derrière eux, les flammes progressaient toujours et ne tarderaient pas à les engloutir. Revenant sur la terre ferme, Nina prit le menton de son amant pour l’obliger à détourner son regard des remous. Le fixant droit dans les yeux elle dit d’un ton ferme et rassurant à la fois.

- Fais-moi confiance et on s’en sortira.

Puis pour lui donner du courage – ou s’en donner à elle ? – elle déposa un baiser furtif sur ses lèvres avant de l’entrainer à sa suite. Très vite le courant les emporta là où ils n’avaient plus pied et Colton recommença à se débattre comme il l’avait fait un peu plus tôt. Hurlant pour qu’il l’entende par-dessus le vacarme du torrent, Nina ordonna :

- Calme-toi ou je t’assomme encore !

La menace sembla faire son effet car elle put se mettre à nager, aidée tant bien que mal par un Wales maladroit. Elle ne sut pas très bien combien de temps ils progressèrent ainsi ni quelle distance ils avaient parcourue. Mais quand un rocher plus gros que les autres se présenta devant eux, elle y vit l’occasion d’un peu de repos bien mérité. Puisqu’il était moins assuré qu’elle dans l’eau, elle aida Colton à se hisser dessus et se contenta elle de s’y agripper pour ne pas être entrainée par le courant. Reprenant son souffle, elle avoua :

- On fait une pause, j’en peux plus.

Contrairement à Colton qui était resté inconscient durant toute leur première traversée de la rivière déchaînée, Nina y avait déjà utilisé une bonne partie de ses forces. La natation constituait déjà en elle-même un sport fatiguant mais lutter contre des eaux tumultueuses en trainant un poids mort relevait d’une véritable épreuve de force. Or la jeune femme n’avait pas eu droit au moindre instant de répit pour récupérer après ça et seule une farouche volonté de vivre lui avait permis de tenir jusque là. Ce seul objectif lui avait permis de pousser ses muscles au delà de leurs limites, usant de réserves dont elle n’avait jamais soupçonné l’existence. Si leur premier bain l’avait épuisée, le marathon interminable qui avait suivi avait achevé de vider la mexicaine de son énergie. Pourtant elle avait encore trouvé la force d’échapper aux flammes en bravant une nouvelle fois les flots tourbillonnants. Mais si la force de la volonté peut permettre de se dépasser de façon inimaginable, il arrive tout de même un moment où le corps de suit plus.

Agrippée à ce rocher salvateur, Nina sentait la force du courant la plaquer contre la partie immergée de son appui. Il lui fallait encore résister pour ne pas lâcher prise mais elle pouvait enfin savourer un moment de repos. Trempée jusqu’aux os, elle commençait à avoir froid. Ajouté au fait qu’elle n’avait rien avalé depuis le début de la journée, elle était loin d’être au meilleur de sa forme. Peu à peu, elle sentit ses membres s’engourdir. Elle avait la sensation que son esprit flottait dans du coton. Autour d’elle, le grondement du torrent n’était plus qu’un simple murmure et un voile blanc avait soustrait le monde à son regard. Son épuisement était tel qu’il l’emportait bien au-delà du simple sommeil. Elle eut encore conscience de ses mains qui glissaient sur la roche humide puis plus rien.

De l’héroïsme dont Colton fit preuve ensuite pour les sortir de là en dépit de sa frayeur de l’eau, elle ne sut rien. Inconsciente, elle était dans le noir total et ne recevait plus aucun message de son corps ou du monde qui l’entourait. La première chose qu’elle perçut fut une sensation de brûlure dans ses poumons lorsqu’il la fit expulser l’eau qui s’y était infiltrée, manquant de la noyer. Mais le choc n’était pas assez violent pour lui permettre de reprendre le dessus sur son état d’épuisement et de sortir des brumes où son esprit était plongé. Cependant du black out total, elle était passée dans un état de demi-conscience et sans vraiment savoir de quoi il retournait, elle percevait de façon très lointaine ce qui se passait, sans pour autant que son cerveau l’enregistre. Ainsi elle eut vaguement conscience d’un balancement tandis que Colton la portait sur son dos, elle perçut le changement lorsqu’il l’allongea sur le sol, elle sentit sans pouvoir les identifier les mains de son amant qui la fouillaient, elle grimaça à cause du picotement de l’alcool sur ses plaies, elle eut même la présence d’esprit d’avaler lorsqu’elle sentit le liquide fort couler dans sa gorge. Mais aucune de ces sensations diffuses et indéchiffrables pour son esprit embrumé ne l’avait préparée au brusque retour à la réalité qui suivit.

Une violente douleur dans sa main blessée eut raison de son inconscience. La jeune femme avait déjà été blessée par le passé et elle avait déjà expérimenté ce que pouvait être la souffrance physique. Mais elle n’avait jamais rien connu de tel. La douleur était si intense qu’elle manqua de la renvoyer immédiatement dans les brumes dont elle venait de la sortir. Le hurlement qui jaillit de sa gorge sans qu’elle puisse le contrôler aurait suffit à glacer le sang des plus endurcis. Des larmes incontrôlables elles aussi s’échappèrent de ses paupières serrées tandis qu’elle tentait vainement d’arracher sa main meurtrie à la torture. Sans doute que si elle avait été consciente l’instant d’avant elle aurait pu se préparer mentalement à ce qu’elle allait ressentir et ainsi l’aurait-elle mieux géré. Mais malheureusement pour elle, ça n’avait pas été le cas. L’odeur de chair brûlée la prit à la gorge et elle eut le réflexe salvateur de tourner la tête pour vomir de la bile sur le sol en dépit de son estomac vide.

Après quelques secondes qui parurent interminables à la jeune femme, son compagnon la libéra enfin et sans se soucier d’entrainer celle de Colton avec, elle ramena sa main blessée contre elle, se recroquevillant comme un enfant. Il lui fallut quelques minutes encore pour pouvoir réfléchir au-delà de la douleur et reconstituer une partie des évènements. Alors elle put se calmer et ouvrir enfin les yeux. Prenant appui sur son époux, elle tenta de se redresser mais renonça lorsqu’elle se rendit compte que la tête lui tournait. Elle était encore dans un état de faiblesse, elle avait faim, elle avait soif, elle avait froid et elle avait mal. Malgré ça, elle était consciente de devoir la vie aux efforts du pistolero et posant à nouveau son regard sur lui, elle murmura :

- Merci…

Sans demander leur reste, les deux amants étaient bien vite tombés dans un sommeil profond. Un sommeil peuplé de rêves plus étranges et inquiétants les uns que les autres. Mais leur fatigue était telle que même un repos aussi peu réparateur que celui-ci était le bienvenu. Lorsqu’elle émergea, Nina sentit une curieuse odeur parvenir à ses narines sans bien savoir si c’était ce qui l’avait réveillée. Étrangement, la première chose qui lui vint à l’esprit fut une sensation de vide. Dans ses souvenirs, elle s’était endormie dans les bras de Colton et en dépit de l’instabilité de leur situation, c’est simple présence l’avait rassurée et lui avait permis de s’abandonner au sommeil avec un sentiment de sécurité. Or à cet instant, les bras du pistolero ne l’entouraient plus. Mais immédiatement, le lien qui entravait leurs mains lui signifia qu’il était bien toujours à ses côtés et les divers évènements de la veille lui revinrent en mémoire, annihilant par la même occasion les efforts de son inconscient pour la mettre de bonne humeur.

C’est donc la mine sombre qu’elle se redressa pour s’assoir face au feu. Ses muscles endoloris et courbatus se rappelèrent à son bon souvenir en une sorte de protestation contre la façon dont elle les avait malmenés et poussés à bout. Si elle avait retrouvé des forces après cette nuit de sommeil agité, chaque mouvement n’en était pas moins douloureux. Ce constat acheva de la mettre de mauvaise humeur. Elle saisit en maugréant la brochette que lui tendait son époux et après l’avoir considérée sans grand enthousiasme pendant quelques instants, elle mangea avec bon appétit quand même. Elle avait faim et ce n’était pas le moment de faire la fine bouche. Après tout ce n’était pas la première fois et ce ne serait certainement pas la dernière qu’elle devrait se résoudre à pareil menu. Pourtant elle se prit à regretter amèrement le contenu de ses sacoches… son repas terminé, elle jeta la brindille dans les flammes et daigna enfin s’adresser à Colton. Désignant leurs mains liées et blessées, elle commenta.

- Dès qu’on sera sortis de là, je trouverai un moyen de mettre fin à cette mascarade. La plaisanterie a assez duré.

Si Nina avait considéré la situation avec un peu plus d’objectivité, elle aurait sans doute admis que l’idée de ce mariage bien que saugrenue n’était peut-être pas si mauvaise. Cependant, elle avait toujours dû se battre pour s’imposer dans un monde où a priori elle n’avait pas vraiment sa place. Pour y parvenir, elle avait dû s’efforcer de se montrer forte en toute circonstance, apprendre à ne compter que sur elle-même, et surtout ne jamais montrer la moindre faiblesse à quiconque. De ce fait, elle avait d’emblée rejeté tout ce qui pouvait de près ou de loin y ressembler et à ses yeux, se laisser guider par des sentiments, si forts soient-ils, en faisait partie. Il en résultait deux choses : elle s’était d’abord forgé une carapace d’orgueil lui interdisant de se reposer sur une tierce personne et elle ne pouvait s’autoriser à s’attacher à quelqu’un sous peine de risquer présenter ce qu’elle considérait comme un point faible. Or maintenant qu’elle se les remémorait, les évènements de la veille lui avaient fichu un sacré coup à son orgueil. D’où sa mauvaise humeur. Imaginer qu’elle ait pu ainsi de se laisser aller et montrer une telle faiblesse l’exaspérait au plus au point.

- Si jamais tu as le malheur de révéler à qui que ce soit ce qui s’est passé hier ou même ne serait-ce que d’y faire la moindre allusion, je te jure que la mort te paraitra douce en comparaison de ce que je te ferai.

Son regard plus sombre que jamais suffisait à confirmer le sérieux de ses menaces. La mexicaine avait encore bien du chemin à parcourir avant de reconnaître que le pistolero représentait à ses yeux un peu plus qu’un simple acolyte passager…

À la réponse du mercenaire à son avertissement, la Hors-la-loi manqua de s’étouffer. Dispute amoureuse ? Elle aurait tout entendu ! Elle préféra s’abstenir de tout commentaire et entreprit de rassembler ses effets. Il y avait au moins un point sur lequel Colton n’avait pas tort, il était grand temps de reprendre la route. La gourde et la flasque que le jeune homme lui avait empruntées, retrouvèrent leur place dans ses poches. Lorsqu’elle prit le petit récipient de métal déformé et noirci après le traitement de la veille, elle faillit déverser à nouveau sa mauvaise humeur sur le pistolero. Malgré tout elle dut reconnaître qu’il avait opté pour la meilleure solution aussi ravala-t-elle ses reproches.

Tandis qu’ils progressaient avec difficulté au cœur de la jungle qui les entourait, Nina ne put s’empêcher de retourner dans sa tête tout ce qui la contrariait. Ils avaient repris leur marche depuis un bon moment déjà lorsqu’elle n’y tint plus et ressentit le besoin d’extérioriser sa rancœur.

- Tu peux me dire ce que ton ami avait dans la tête lorsqu’il a eu cette idée stupide ?

Tournant la tête vers Colton, elle ajouta en le dévisageant de la tête aux pieds :

- Mon père doit se retourner dans sa tombe de me savoir mariée à un Gringo ! Vivement que ce lien soit rompu, qu’on puisse mettre un maximum de distance entre nous deux.

Elle ne pensait pas un seul mot de ce qu’elle disait mais sa colère était telle qu’elle avait besoin de la focaliser sur quelque chose de concret pour ne pas se laisser submerger. Malheureusement pour Colton, elle n’avait que lui sous la main. Pourtant en réalité, c’était plutôt après elle qu’elle en avait. Une part d’elle-même avait conscience des sentiments qu’elle éprouvait mais elle refusait tellement de les admettre qu’elle s’en voulait de les envisager. Or il était beaucoup plus facile de s’en prendre à son compagnon plutôt que d’accepter la vérité. Et tant pis si elle se montrait cruelle et insultante. Au contraire, plus elle déversait de haine et plus elle pouvait occulter ses véritables sentiments.

Ils continuèrent de progresser en silence un moment encore avant de se trouver bloqués par la falaise. Le mur naturel s’élevait au dessus d’eux à une hauteur impressionnante et à première vue, aucune issue n’était visible. En y regardant de plus près, ils trouvèrent un minuscule passage. Les deux falaises qui bordaient la vallée étaient si rapprochées à cette endroit qu’ils avaient tout juste la place de passer entre les deux parois. Le pistolero entreprit de transformer un caillou en une arme improvisée et enjoignit la mexicaine à s’engager la première dans l’étroit défilé. S’il n’avait pas été absorbé par sa tâche, sans doute aurait-il remarqué le changement dans l’expression de la jeune femme et l’appréhension qui se lisait à présent sur son visage l’aurait sans doute alerté. Encore trop orgueilleuse, Nina s’abstint également de lui avouer ses craintes.

Ils progressèrent quelques temps sans encombre. La hauteur des parois rocheuses empêchait le jour de parvenir jusqu’à eux et très vite ils eurent tout juste assez de lumière pour voir où ils mettaient les pieds. À chaque pas, Nina regardait en arrière, s’accrochant désespérément à l’entrée du défilé qu’elle apercevait encore derrière son amant. Jusqu’à ce qu’ils soient trop avancés pour pouvoir la deviner. C’est à ce moment là que les choses commencèrent à se gâter. Incapable d’aller plus avant, la jeune femme s’arrêta. Dans l’obscurité du défilé, elle ne voyait que la roche autour d’elle et n’avait même pas assez de place pour étendre ses bras. Lorsque Colton lui demanda ce qui se passait, elle fut incapable de lui répondre. Elle ouvrit la bouche mais aucun son n’en sortit. Sa respiration s’accélérait et devenait sifflante comme si elle manquait d’air. La panique la gagnait et bientôt, incapable de réfléchir à l’absurdité de son entreprise, elle entreprit de frapper violemment les parois de pierre dans le vain espoir de dégager davantage d’espace. Elle ne parvenait presque plus à respirer et se voyait déjà mourir là, enterrée vivante.

Nina était incapable de se maitriser tant la panique avait raison de ses facultés de raisonnement. Elle était terrorisée et éprouvait de plus en plus de difficultés à respirer. D’autant que les tentatives de Colton pour la calmer n’arrangeaient pas les choses. Finalement, c’est lorsqu’il lui administra un violent coup dans le ventre qu’elle réagit enfin. Le souffle coupé, elle crut d’abord que son heure était venue. Mais le choc avait été suffisamment violent pour la ramener à la réalité. Peu à peu elle retrouva un rythme respiratoire à peu près normal. Mais l’angoisse et le sentiment d’oppression étaient toujours présents. Agrippant la main de son amant qui était liée à la sienne, elle murmura d’un ton suppliant :

- Fais-moi sortir d’ici…

Alors très lentement, ils purent reprendre leur progression. Le pistolero avait pris les deux mains de la jeune femme dans les siennes et elle s’y accrochait comme à une bouée sauvetage. À force de paroles rassurantes, elle parvint à faire un pas, puis un autre, s’enfonçant toujours plus profond dans le défilé. Pour ne pas laisser la panique l’envahir à nouveau elle s’efforçait de se concentrer sur la voix de son amant. Mais peu à peu, elle s’aperçut qu’elle ne l’écoutait plus et que ses pensées avaient dérivé vers autre chose. Leur altercation dans la jungle un peu plus tôt s’était imposée à son esprit. Se rappelant ce qu’elle lui avait dit, elle sentit la culpabilité la ronger. Malgré la dureté de ses paroles l’instant d’avant, il n’hésitait pas à présent à la soutenir. Il aurait été facile de penser que du fait du lien qui les condamnait à rester ensemble, c’était pour sa propre survie qu’il agissait ainsi. Mais Nina fut bien forcée d’admettre qu’il y avait autre chose à mesure qu’une série de détails lui revenaient en mémoire.

Elle se rappela cette nuit où ils s'étaient aimés et qui avait tout déclenché. Elle se rappela surtout qu'au matin, avant qu'Anoki mette son plan à exécution, elle était heureuse. Elle se rappela comme elle avait puisé l'énergie qui lui manquait dans le regard de Colton lorsqu'ils tentaient d'échapper aux flammes. Elle se rappela que dans la rivière elle avait concentré toute son énergie pour sa survie à lui et non la sienne. Et à mesure que ces évidences s'imposaient à son esprit, elle prit conscience d'un phénomène qui lui avait échappé jusqu'à maintenant : à chaque fois qu'elle avait cru leur fin proche, c'était vers lui que ses pensées s'étaient tournées et à chaque fois, c'était à ce moment précis qu'ils avaient trouvé la solution pour s'en sortir. La jeune femme serra un peu plus fort les mains de son amant. Elle commençait à comprendre quels étaient les enjeux de toutes ces épreuves.

- Colton ?

Une nouvelle fois, la jeune femme s'était arrêtée.

- Oublie ce que j'ai dit tout à l'heure. Je ne le pensais pas. Je... Je crois que mon père aurait été fier.

Nina se sentit alors soulagée d'un grand poids qu'elle n'avait pas eu conscience de porter. Il y avait bien plus que des excuses dans ce qu'elle venait de dire. S'il était encore trop tôt pour qu'elle puisse mettre des mots dessus, au moins avait-elle accepté l'évidence. La jeune femme reprit alors sa marche mal assurée entre les deux parois rocheuses.

Malgré l’angoisse, un léger sourire flotta quelques secondes sur les lèvres de Nina suite au compliment de Colton. Inconsciemment, elle serra un peu plus fort la main de son amant. Elle aurait voulu s’arrêter, oublier un instant ces épreuves stupides et dangereuses pour être simplement dans ses bras. Elle aurait voulu le lui dire mais ne savait pas comment. Aussi elle préféra se taire et continua d’avancer. Soudain, sans explication, le pistolero lui ordonna d’aller plus vite. Alors qu’il s’était soucié jusque là de la rassurer et de la laisser avancer à son rythme, il la forçait brusquement à presser le pas. La pointe d’inquiétude qu’elle perçut dans la voix de son amant lui suffit pour qu’elle ne demande pas de détails. S’efforçant de ne pas regarder en arrière de crainte de céder à nouveau à la panique, elle fit de son mieux pour obéir. Et puis enfin, devant eux, de la lumière. À ce moment seulement, Nina s’autorisa un regard en arrière et ce qu’elle vit la terrifia. Suivant l’injonction de Colton, elle accéléra encore et dès que l’espace entre les deux parois le leur permit, les deux amants se mirent à courir en direction de la sortie.

Ils coururent à perdre haleine pour échapper au piège mortel qui menaçait de se refermer sur eux. La mexicaine fut la première à déboucher à l’extérieur, immédiatement suivie par Colton, juste avant que le mur ne se referme totalement derrière eux. Emportés dans leur élan, ils ne virent pas assez tôt le précipice qui plongeait à leurs pieds. Déséquilibrée, Nina bascula dans le vide, manquant d’entrainer le pistolero dans sa chute. Seule une étroite corniche faisait saillie sur la paroi de pierre à présent close. S’il n’y avait pas eu le lien magique qui unissait leurs mains, Colton ne serait sans doute pas parvenu à retenir la jeune femme.

Leur situation était des plus instables. Suspendue dans le vide au dessus d’un précipice dont elle ne voyait pas le fond, Nina était dans l’impossibilité de remonter. La roche incroyablement lisse n’offrait strictement aucune prise qu’elle puisse exploiter. De son côté, Colton en équilibre précaire sur l’étroite corniche ne pouvait guère lui venir en aide. S’il bougeait pour tenter de la remonter, il risquait immanquablement de basculer à son tour. D’autant qu’il ne pourrait pas tenir ainsi éternellement. Lorsque ses forces finiraient par l’abandonner, ils tomberaient tous les deux. Quel que soit l’angle sous lequel elle analysait la situation, la jeune femme ne voyait pas d’autre issue que de s’écraser des centaines de mètres plus bas avec son amant. À moins que… Si, il y avait bien une solution… Elle n’avait pas le choix… Ils ne s’en sortiraient pas tous les deux cette fois.

- Colton ! La pierre que tu as aiguisée, utilise-la pour me couper la main.

Nina était incroyablement sereine maintenant qu’elle savait ce qu’elle devait faire. Si pour elle la seule option était de se laisser tomber dans le vide, lui pouvait s’en sortir et elle refusait qu’il y renonce. Tant pis si elle devait mourir, tant qu’elle n’était pas responsable de sa mort à lui. Tout était parfaitement clair dans son esprit à présent. Elle devait se sacrifier pour lui permettre de vivre. Voyant le regard effaré de Colton après ce qu’elle venait de dire, elle reprit.

- Fais ce que je te dis ! C’est la seule solution. On ne peut pas couper le lien, alors coupe ma main. Fais-le tu m’entends ? Il est hors de question qu’on y passe tous les deux alors que toi tu peux t’en sortir.